Actualité française et internationale

Quand les statues font polémique ou les usages de l’histoire dans le débat public…

 

Depuis le tragique décès de Georges Floyd, asphyxié sous le genou d’un policier blanc, de nombreuses voix se sont fait entendre, interrogeant aux États-Unis et même en Europe l’histoire de l’esclavage ou de la colonisation. Dans les nombreuses manifestations qui ont eu lieu de Minneapolis à Bruxelles en passant par Bristol ou Paris, on ne discute pas seulement du racisme et des violences policières. Le passé est en effet convoqué pour expliquer les tensions en jeu dans certains territoires et les discriminations présentes. Certains n’hésitent pas à parler de processus « systémiques » hérités du passé dans les violences qui seraient commises contre des minorités.

Ce sujet qui touche au récit national et aux constructions identitaires est depuis longtemps un objet d’étude important à l’université (voir l’ouvrage de Suzanne Citron sur le « mythe national » français publié en 1987) et qu’il a eu, dans les années 2000, certes tardivement, son prolongement dans l’enseignement secondaire. Ainsi, en France, les enjeux de mémoire (sur la Seconde Guerre mondiale ou la Guerre d’Algérie) sont le premier thème des anciens programmes d’histoire en terminale générale. L’année prochaine pour le même niveau, en spécialité histoire-géographie-géopolitique-sciences politiques (HGGSP), à côté du thème 3 consacré aux relations entre « histoire et mémoire », un autre reviendra sur les enjeux (géopolitiques) du « patrimoine« , en particulier sur ses « usages sociaux et politiques ».

À l’heure où des manifestants aux États-Unis attaquent des statues érigées en l’honneur de généraux des États confédérés pendant la Guerre de sécession, quand d’autres s’en prennent à Boston à la statue de Christophe Colomb ou appellent à déboulonner la statue de Colbert devant l’Assemblée nationale, ministre de Louis XIV et auteur du Code noir, texte juridique qui réglementait le sort des esclaves dans les Antilles françaises, ces nouveaux programmes éclaireront certainement les débats en cours en France et dans le monde.

 

Sans vouloir prendre position dans ce débat, il paraît important de proposer ici des réflexions d’historiens, de sociologues et d’acteurs de la société civile qui pourront constituer des matériaux ou des ressources utiles dans nos prochains cours d’histoire ou d’enseignement moral et civique (EMC), en quatrième ou au lycée.

Le point de vue de militants qui veulent déboulonner les statues :

« Nous en avons assez d’être entourés de symboles qui nous insultent » : en France aussi, des militants antiracistes veulent déboulonner des statues » (témoignages parus sur le site de France info, le 11 juin 2020).

 

L’iconoclasme, une vieille histoire :

« L’iconoclasme politique, une tradition héritée de la Révolution française », par l’historien Emmanuel Fureix (entretien paru dans le journal en ligne Les Inrockuptibles, 6 juin 2020).

« Une brève histoire de l’iconoclasme » par l’historien Jean-Paul Demoule (texte paru dans Sciences et Avenir le 17 juin 2020).

Déboulonner les statues, « ce n’est pas un phénomène nouveau » par la sociologue Sarah Gensburger (entretien publié sur le site Cnews, 16 juin 2020). Une démarche rétrospective comme sur les bustes de Lénine et une analyse sur le « sens des statues » très utiles pour saisir les principaux enjeux du débat.

 

Débats : Détruire, expliquer, retirer ?

« Expliquer plutôt que détruire » par l’historienne Jacqueline Lalouette (dépêche AFP parue dans le journal en ligne Le Vif, 12 juin 2020).

« La République a suffisamment de symboles forts, elle n’a pas besoin de Colbert » par l’historien Frédéric Régent (Francetvinfo, 11 juin 2020).

« Comment comprendre que dans les locaux de l’Assemblée nationale, une salle porte encore le nom de Colbert ? » (tribune de Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage et ancien Premier ministre, parue dans le journal Le Monde, le 13 juin 2020).

« La précipitation politique est toujours mauvaise conseillère » : La réponse de l’historien Jean-Clément Martin à Jean-Marc Ayrault (entretien paru dans Le Monde le 16 juin 2020).

« Pourquoi des militants ont-ils détruit des statues de Victor Schœlcher (et est-ce justifié) ? » (à propos de la destruction de deux statues de Victor Schoelcher le 22 mai 2020, entretiens avec Myriam Cottias, Louis-George Tin et Dominique Taffin, 20 Minutes, 29 mai 2020).

« L’espace public, un lieu de conflictualité nécessaire » par l’historien François-Xavier Fauvelle (texte paru dans Sciences et Avenir le 15 juin 2020).

Notre histoire est plus grande que celle qu’exaltent les apôtres des grandeurs de la France”, tribune de Patrick Boucheron reproduite par le site Opera News, initialement publiée dans Philosophie magazine le 25 juin 2020.

« L’anachronisme est un péché contre l’intelligence du passé« , tribune de Mona Ozouf, Annie Sartre, Maurice Sartre, Jean-Noël Jeanneney et Michel Winock, Le Monde, 24 juin 2020

Ce qui se dit à la télévision ou à la radio :

Pour prolonger la réflexion, trois extraits vidéos ou audios ci-dessous, en particulier les interventions dans C à vous sur France 5 des historiens Pascal Blanchard (11 juin 2020) et Mona Ozouf1 (12 juin 2020). Quant à Thomas Snegaroff, il revient dans sa chronique quotidienne Histoires d’Info de France Info sur la polémique autour du film Autant en emporte le vent (1939) retiré temporairement du catalogue de HBO.

 

1. Mona Ozouf fait dans l’émission un vibrant et efficace plaidoyer pour une histoire « complexe ». Elle vise juste. Cependant, sa distinction entre « colonisateur » et « colonialiste » pour nuancer l’action de Jules Ferry en faveur de la colonisation ne résiste pas à un examen historique sérieux. N’oublions pas les propos de l’ancien ministre de l’Instruction publique et président du Conseil considérant qu’il était du devoir des races supérieures de « civiliser les races inférieures » (discours à la chambre des députés le 28 juillet 1885). Si des intérêts géopolitiques et économiques commandent en effet sa politique coloniale, celle-ci était portée en même temps par des convictions idéologiques auxquelles s’opposa farouchement Georges Clemenceau. Et on ne peut pas rejoindre non plus l’historienne lorsqu’elle affirme que le promoteur de l’école publique gratuite, laïque et obligatoire avait réalisé la scolarisation des jeunes algériens « musulmans ». Il n’est pas resté longtemps au pouvoir pour mener cette tâche immense. Il aurait fallu un net engagement des autorités face à l’opposition des colons et d’importants investissements. Il faudra attendre 1944 pour que le gouvernement provisoire, par un décret ambitieux, considère ce chantier comme prioritaire afin de remédier aux inerties du système colonial, répondre à « l’impôt du sang » versé pendant la guerre qui rendait intolérable les inégalités criantes en Algérie et y éteindre les nouveaux feux du nationalisme.

 

 

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